Joël, Joël Couchouron…

Pour moi, il est comme un grand frère, mais, il faut dire maintenant, il était. Mais un photographe ne disparaît jamais vraiment, ses photos vont traverser le temps, Joël laisse tellement de livres et de photographies derrière lui. Il est et sera le grand témoin de notre région.

Un beau texte de Vianney Huguenot

Cultivateur d’images

Souvent dépeint comme le photographe des vieux métiers et des paysans de la montagne vosgienne, Joël Couchouron s’en est allé le 17 septembre, « sur la pointe des pieds, comme pour ne pas déranger, comme il avait mené sa carrière magnifique », dit son ami, le conteur et humoriste Claude Vanony.

Dans le monde des photographes et capteurs d’images, particulièrement celui des Vosgiens, la nouvelle du départ de Joël Couchouron rappelle le fracas et le coup de tonnerre. Le départ brutal de leur pair, et un peu père, laisse un vide considérable que le temps et la beauté sincère de ses photographies tenteront de combler. En témoigne cette saisissante effusion de mots tendres, d’amis, relations et anonymes, sur la page Facebook de l’artiste. De l’artisan, plus précisément, car Joël Couchouron préférait qu’on le présente ainsi, comme un signe d’appartenance loyale à la corporation des travailleurs traditionnels et manuels. Son confrère, ami et voisin de Sapois, le photographe animalier Vincent Munier, le nommait parfois « le Curtis vosgien ». Joël Couchouron, effectivement, avec les montagnards vosgiens, posait un regard d’ethnologue, de la même manière qu’Edward Sheriff Curtis, photographe et ethnologue américain, l’avait fait avec les Amérindiens. La connexion Couchouron-Curtis établit un parallèle intéressant entre les indiens d’Amérique et les paysans des Vosges et soulève le questionnement de la disparition programmée (certes dans des conditions et contextes différents) de ces originaires et façonneurs de cultures. La relation de Joël Couchouron avec ses « sujets » (avec de gros guillemets autour de sujets) ne tenait pas seulement, ni prioritairement, de l’ethnologie, il existait simplement entre l’un et les autres une complicité, une amitié et un respect. Autre de ces amis photographes vosgiens, Michel Laurent souligne « la technique Couchouron, l’affût sans se cacher » : « Joël me racontait sa façon si particulière d’aborder ses portraits de paysans… si courtoise et bienveillante, avant que ce mot à la mode n’existe. Je le cite : « Je faisais toujours ainsi lorsque je voulais faire des photos d’un paysan. Je passais en vélo et je prenais du temps pour discuter, une première fois et sans mon appareil photo, et puis je revenais avec l’appareil, mais sans m’en servir. Et puis seulement si la personne était d’accord, je revenais une troisième fois pour réaliser mon reportage ». De tous ses reportages sont nés des amis, des copains, des complices ». Également « sous le choc », le réalisateur de films et documentaires Jacques Cuny insiste sur « l’émotion au contact de ses images et de ses textes » et l’humanité du personnage. Quant à Claude Vanony, il se souvient de ses débuts, « autodidacte, quand il parcourait la montagne vosgienne avec la simplicité qui le caractérisait, allant presque timidement chez les anciens des hauts. Il était la gentillesse même ». On aurait tort d’abréger les sentiments de Joël Couchouron en une seule nostalgie, il se montrait davantage observateur soucieux du temps qui passe (trop vite). Rien de ringard dans le regard ou l’action : il pratiquait, non sans s’émouvoir du souvenir de son vieil Instamatic, les nouvelles techniques de photographie et technologies de la communication fugitive et de la commercialisation virtuelle. Mais le temps long et la patience, malgré les bouleversements du monde, demeurèrent complices de Joël Couchouron. Une connivence silencieuse, rappelée par l’auteur et photographe alsacien Michel Friz, qui ne connaissait Joël Couchouron qu’à travers ses photos : « Un jour, j’ai découvert une de ses photos dans une ferme-auberge. Il s’agissait d’un portrait de paysan, accroché au mur de la salle à manger. Ce visage moustachu, buriné, couvert d’un feutre déformé, m’invitait du regard à m’asseoir en face de lui et à entamer la conversation ! Je crois que ce cliché symbolise assez bien la vision du monde qu’avait Joël Couchouron. On la retrouve tout au long de son œuvre. Il savait à chaque instant mettre en lumière les hommes et leur terroir en créant un lien profond, sincère et bienveillant. Un témoignage précieux qui, à défaut, d’arrêter la course du temps, avait la vertu de le ralentir ». Et souvent de le fixer en noir et blanc et le graver en lettres d’or. Vianney Huguenot

HORS TEXTE

Paysages et pays sages

Né à Sapois en 1951, Joël Couchouron reste sa vie durant dans ce village vosgien au cœur d’un triangle porteur de l’identité montagnarde des Vosges, Gérardmer-Remiremont-La Bresse. Il y était heureux, ça se lisait sur son visage quand on le rencontrait mais il y était resté en partie par contrainte : « Quand je suis revenu de l’armée, mon père n’était plus là, il a fallu que je m’occupe de la famille, j’étais le seul qui ramenait une paie à la maison. S’installer à Sapois, c’était quasi obligatoire. Mais je ne regrette rien, c’est ce qui pouvait m’arriver de mieux ». Il poursuit ainsi une enfance et une jeunesse largement consacrées au travail : « On avait des parents qui nous faisaient travailler, surtout mon père qui n’aimait pas nous voir ne rien faire. Mais en même temps, on était les enfants les plus gâtés. Il nous construisait des voitures à pédales et tous les gamins du village nous regardaient envieux. On était vraiment des enfants gâtés mais au prix de beaucoup de travail ». Le souvenir de son enfance révèle aussi, comme une image qui apparaît dans le bac fixateur, les ravages de la déshumanisation de notre société, même rurale : « Je ne connais pas aujourd’hui la moitié des gens de Sapois alors qu’avant on se connaissait tous ». La photographie, selon Joël Couchouron, représentait aussi le moyen de garder le contact, positivement, avec l’avant, à travers des gens, des gestes, des paysages, « des pays sages », disait-il. V.H.

Vianney Huguenot

Journaliste, chroniqueur, présentateur, auteur

5 rue des vignes 57950 Montigny-lès-Metz

07.88.93.66.75

vianney.huguenot@gmail.com

Auteur/autrice : photographe

presque 40 ans de photo. Encore autant et j'arrête !

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